Comme tous les livres d’artiste (livres uniques, livres objets), ce sont des créations très particulières et rares, de relieurs, typographes, illustrateurs, imprimeurs, artistes plasticiens.
Mais si on l’appelle « minuscule », c’est qu’il répond à des dimensions bien précises.
Sa dimension détermine son nom :
sur son plus grand côté, il mesure moins de 10 centimètres ?
alors on l’appelle « livre de petite taille »,
moins de 76 mm, c’est un livre minuscule,
moins de 2 pouces* (environ 5 cm), c’est un poucet,
moins de ½ pouce (environ 12,5 mm), un micro-livre ou un microbe.
* Le pouce est une unité de mesure de longueur, datant du Moyen-âge, valant 2,54 cm.
Ces livres aux dimensions hors-normes sont apparus dès l’Antiquité et quelques exemplaires de ces manuscrits minuscules sont actuellement conservés par des collectionneurs, musées ou bibliothèques.
L’âge d’or fut le XVIIIème siècle, où fleurissent les livres éducatifs et les almanachs.
À la BNF, les « nains », c'est-à-dire les livres de petite taille en général (moins de 10 cm), sont rangés dans des boîtes ou des enveloppes, pour ne pas les perdre, dans la Réserve des livres rares et précieux.
Almanachs, livres d’heures, recueils de chansons, poésie, ils sont facilement transportables, glissés dans une bourse, ou escamotables lorsqu’ils sont licencieux.
Leur rareté justifie leur réalisation soignée et les matériaux employés : ivoire, or, nacre, écaille de tortue, pierres précieuses, maroquin, etc.
La grande histoire des minuscules
On trouve déjà des tablettes sumériennes de formats très réduits, ou des pierres égyptiennes de quelques millimètres couvertes d’écriture ; les scribes orientaux nous ont laissé des corans de petite taille, chefs-d’œuvre de virtuosité et de délicatesse. Mais c’est avec l’invention de l’imprimerie que le livre minuscule connaît son essor. Facile à emporter par l’écolier, le religieux, l’amateur ou le savant, il peut être consulté à tout moment de la journée.
Du livre leste au livre de voyage
Au XVIIIe siècle, la production des minuscules s’envole à Londres comme à Paris. Dans la capitale anglaise, ce sont de ravissantes bibles enfantines ou des Description de la célèbre cathédrale Saint Paul. Au début de chaque ouvrage, une page manuscrite indique les noms des jeunes souscripteurs.
C’est aussi à Londres, au XIXe siècle, qu’apparaissent les premiers almanachs, dont la vogue se propage bientôt en Italie, Autriche, Allemagne, où Clemens Senefelder, un neveu du père de la lithographie, produisit nombre d’almanachs minuscules par le procédé familial. En Allemagne, les livres circulaires dépliables connaissent un grand succès, ces « Schraub medaille » ont été largement utilisés à des fins politiques ou pour célébrer des événements nationaux. En France, on imprima des almanachs de taille très réduite, moins de 25 mm. Certains étaient des recueils de chansons licencieuses, finement illustrées de planches gravées et arborant des titres accrocheurs tels L’Amour et les Belles, Le Conseiller des Grâces, L’Apropos Galant, Le Petit Troubadour. La plupart de ces ouvrages s’ornaient de reliures de maroquin rouge décorées de fleurs, d’oiseaux et d’emblèmes divers, leur taille varie entre 20 et 30 mm.
D’autres se cachent à l’intérieur de véritables bijoux, comme Le Bijou mignon des dames.
Un jardin des fleurs de 13 millimètres
Les premiers incunables minuscules sont des livres religieux ou d’heures et ils sont très rares. Le premier connu date de 1468, c’est le Diurnale Moguntinum (diurnal de Mayence) de Pierre Schoeffer, associé et successeur de Gutenberg, il mesurait 94 x 65 mm. Le vénitien Giunta a imprimé des livres d’heures dès 1506, Thielmann Kerver à Paris en 1514. Christophe Plantin, l’imprimeur francoanversois, réalise en 1585 un Calendrier grégorien et en 1606 un De Officisi de Cicéron. En Europe et en Grande-Bretagne, au XVIe et au XVIIe siècle, les livres minuscules mettent déjà à l’épreuve l’imprimerie naissante. À Londres, John Weever tire sur ses presses, entre 1601 et 1610, une minuscule Vie du Christ en vers ; à Sedan, Jean Jannon met à contribution sa police de caractères grecs, « la petite sédanoise », pour donner les OEuvres d’Horace (1627) et un Nouveau Testament (1628). De l’atelier de Jean Maire, à Leydes, en 1620, sortira De consolatione philosophiae, tandis qu’à Londres, en 1614, John Taylor imprime une bible pour enfants qui sera reprise aux siècles suivants. Mais c’est à Amsterdam que le plus petit des minuscules voit le jour, en 1673 : c’est le Bloemhofje ou Jardin des fleurs, imprimé par Benedikt Smidt en 1673. De format 13 x 9 mm, il demeurera pendant quelques centaines d’années le record mondial des petits formats.
À en perdre la vue
Au XIXe siècle, on produit des livres miniatures par milliers, notamment en Angleterre, où ils abordent tous les sujets dits «éducatifs» : les fleurs, les animaux, les voyages, les personnages célèbres, la géographie. La plupart du temps, ils sont présentés dans des bibliothèques miniatures créées pour les contenir. Les Britanniques ont le record de l’infiniment petit à cette époque, il n’est pas rare de trouver des ouvrages de 15 x 18 mm présentés dans de précieux écrins pourvus d’une loupe !
En France, la librairie Fournier publie à Paris La bibliothèque portative du voyageur (1802) ; la légende veut que Napoléon ait emporté quelques opuscules lors de ses campagnes. Parmi les minuscules les plus célèbres figurent une édition de La Rochefoucault (1827) et un Horace (1828), imprimés à Paris par Henri Didot aîné grâce à son procédé de polyamatype, permettant de multiplier les impressions.
Quant au minuscule le plus « douloureux » de tous, c’est sans conteste la Divine Comédie qu’imprima en 1878 Salmin de Padoue, dans des caractères si microscopiques et si cassants que la vue de son compositeur en fut gravement affectée. Les États-Unis, pour leur part, connaissent eux aussi l’âge d’or du minuscule au XIXe siècle et n’ont jamais abandonné ce type d’édition dont ils sont toujours des producteurs importants.
Au cours du XXe siècle, les livres miniatures sont également apparus comme instruments de propagande, dans l’Allemagne nazie comme en Union soviétique ou à Cuba.
Aujourd’hui, plusieurs livres prétendent au record de petitesse : un ouvrage de 0,95 mm dû aux Japonais, suivi de près par une édition russe de Tchekhov et une autre de Pouchkine, records battus par l’université de Vancouver dont les physiciens ont offert en 2007 à un nombre infiniment petit de lecteurs un « nanotexte » de l’artiste Malcolm Douglas Chaplin : il mesure 0,07 mm x 0,10 mm !!
Quelques sites pour plus d’informations :
Le Blog du Bibliophile
Roger Huet, collectionneur
SMALL IS BEAUTIFUL !